Warm thanks again to Hubert Mulkens, who has produced another excellent translation of one of my essays. This is a French translation of When Ukraine is Over, published originally on 15 January. (And thanks to Catherine for reading and commenting on the translation.) It raised some considerable interest and quite a few comments in the English version: this translation will, I hope, give those with French as their first language, an opportunity to read and comment also. As always, I am very happy for translations of my essays into other languages to appear: I would just ask that you let me know and provide a link to the original. And I will be back with a new essay in English in ten days or so. So now let’s pass the microphone to Hubert ….
Au cours des dix-huit derniers mois, j’ai écrit quelques essais sur la question de la « fin » de la guerre en Ukraine. J’ai parlé des négociations et de leurs difficultés, et j’ai expliqué que le concept même de « fin » d’une guerre est toujours fluide et sujet à interprétation. Si vous n’avez pas lu ces essais et que vous avez du temps libre, vous voudrez peut-être les lire maintenant. Le présent essai couvre inévitablement une partie du même sujet, car les problèmes sont des problèmes de principe qui ne changent pas beaucoup au fil du temps, mais cette semaine, j’essaie de mettre à jour l’argumentation et de l’élargir en faisant référence à d’autres exemples.
L’Occident ne comprend pas encore la situation
Le « débat » en Occident a progressé péniblement ces derniers temps, dans la direction générale de la réalité. Mais l’attente en Occident semble toujours être une trêve d’une certaine sorte dans la guerre et un report de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN pendant que ses forces sont reconstruites, alors que les Russes sont clairs sur le fait que de tels objectifs sont exclus même de leurs conditions minimales pour commencer les négociations. Je ne vais pas m’étendre sur les déclarations de telle ou telle personne, car elles ne sont pour l’instant que de la poudre aux yeux et, du côté occidental, peu de ceux qui pontifient semblent avoir saisi les réalités fondamentales de la situation. Je vais plutôt exposer les réalités fondamentales de la façon dont les guerres « finissent » (si elles finissent !) et les différentes façons dont cela se produit, ainsi que les divers mécanismes qui existent pour permettre cela. Je vais faire un certain nombre de distinctions, à la fois dans les concepts et dans la terminologie, qui peuvent sembler un peu ringardes et détaillées à certains. Tout ce que je peux dire, c’est que les diplomates professionnels ou les experts en droit international m’accuseraient probablement de simplification excessive.
Clarifions les concepts autour de la « paix »
La première chose à faire est d’introduire la distinction entre quatre types d’événements potentiels. Bien qu’ils puissent sembler séquentiels, ils ne le sont pas nécessairement, et tous les conflits ne passent pas par toutes les étapes. Nous distinguerons :
• Les redditions organisées d’unités importantes (bataillon et plus).
• Les accords visant à mettre fin aux hostilités et à séparer les forces, qu’ils soient permanents ou temporaires.
• Les accords visant à mettre fin aux hostilités de manière définitive, donc généralement destinés à être permanents, ou au moins durables.
• Les accords visant à remédier aux causes sous-jacentes du conflit.
J’utilise ici le terme « accord » au sens le plus large, qu’il soit de forme écrite ou non (un point que j’aborderai plus tard). Il est important de distinguer clairement ces étapes les unes des autres, car il est souvent difficile de savoir ce que quelqu’un veut dire lorsqu’il parle de « mettre fin à la guerre », et cela entraîne beaucoup de confusion inutile. En effet, l’un des aspects les plus déstabilisants lors des tentatives de mettre fin à un conflit est que les gens entendent souvent des choses différentes par les mêmes termes, et la même chose par des termes différents, et parlent donc sans se comprendre.
Mais avant d’examiner ces possibilités et d’établir une taxonomie des différents types d’accords, je voudrais insister une fois de plus sur un point d’importance fondamentale qui est omis dans tous les manuels de droit international que j’ai pu consulter. Les accords, qu’ils soient simples ou élaborés, de nature juridique ou politique, qu’ils soient écrits ou verbaux, n’ont pas plus d’effet que la volonté des parties de les mettre en œuvre, et pas plus d’importance que la bonne foi des parties qui les ont conclus au départ. Ainsi, s’il existe un accord sous-jacent, les textes suivront rapidement. S’il n’existe pas d’accord sous-jacent, aucun texte détaillé ne pourra le faire naître. J’ai passé plus de temps que je ne voudrais m’en souvenir assis dans des salles étouffantes à essayer de trouver des mots pour masquer le fait que les parties impliquées dans les négociations étaient fondamentalement en désaccord les unes avec les autres.
Pourquoi une guerre s’arrête-t-elle ?
Commençons par le commencement. Quelles sont les motivations des parties qui acceptent de discuter ou de conclure un accord alors qu’un conflit est en cours ? La théorie politique libérale, qui considère les guerres comme des anomalies provoquées par des erreurs ou des méchancetés individuelles, est claire : toutes les parties devraient de toute façon vouloir la paix, et la tâche consiste donc à leur fournir un mécanisme approprié pour y parvenir, et à se débarrasser de tous les fauteurs de troubles qui pourraient faire obstacle aux accords de paix. (Oui, je sais que des libéraux autoproclamés ont soutenu des guerres agressives à l’étranger. Ce n’est pas le sujet ici.) Ainsi, des étrangers, généralement occidentaux, apporteront leur expertise, rédigeront des accords de paix, marginaliseront les fauteurs de troubles et tout le monde sera content. En théorie.
En réalité, les raisons pour lesquelles les États et les autres acteurs acceptent des négociations, ou même des propositions visant à mettre fin aux combats, varient énormément. Ils peuvent être désavantagés et espérer qu’une pause leur permettra de reprendre des forces. Ils peuvent aussi décider qu’ils sont de toute façon en train de perdre, et qu’il vaut mieux arrêter maintenant. Ils peuvent décider qu’il y a des avantages politiques à accepter de cesser les combats, ou bien ils peuvent chercher à prendre à contre-pied l’autre camp, qui lui-même est peut-être en train de gagner et ne veut pas que le conflit cesse. Ils peuvent décider de se montrer disposés à discuter en sachant que l’autre camp ne le fera pas, et ainsi en tirer un avantage politique. Il n’est donc pas inhabituel que des États engagent des négociations, ou du moins acceptent de le faire, pour des raisons tout à fait différentes, voire diamétralement opposées. Si l’on y réfléchit, cela explique en partie la posture adoptée à propos de l’Ukraine.
L’autre point général est que de nombreuses cultures politiques font une distinction entre l’acceptation de quelque chose (par exemple un cessez-le-feu) et sa mise en œuvre. Il s’agit de décisions politiques distinctes, prises pour des raisons différentes, et dans tous les cas, ceux qui acceptent un cessez-le-feu ne sont pas nécessairement en mesure de le mettre en œuvre, car ils ne contrôlent pas les combattants. Même dans les grands États, il peut y avoir des décalages : des gens du Pentagone m’ont dit que les traités étaient un « problème du Département d’État ». L’une des nombreuses raisons de la tentative de coup d’État en Union soviétique en 1991 était que les militaires avaient le sentiment d’avoir été ignorés dans la rédaction finale du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe et que, comme ils l’ont dit aux visiteurs occidentaux, les diplomates avaient « commis une erreur dans les chiffres » qu’ils étaient obligés de corriger.
Il arrive parfois que toutes les parties à un conflit aient un intérêt collectif à se mettre d’accord sur quelque chose, n’importe quoi, juste pour se débarrasser des étrangers. C’est ce qui s’est produit de manière notoire dans les premières années du conflit en ex-Yougoslavie. En 1991-1992, les gouvernements européens étaient absorbés par les questions de l’après-guerre froide et les négociations sur l’Union européenne, et tout a basculé dans le chaos à cause de la crise yougoslave et des demandes pour que l’Europe « fasse quelque chose » à ce sujet. C’est ainsi que la « troïka », les trois ministres des Affaires étrangères des présidences passée, présente et future de l’Union de l’Europe occidentale, a été envoyée pour ramener la paix dans les Balkans. Ils obtenaient des promesses des belligérants de cesser les combats, et ces derniers étaient généralement assez prévenants pour attendre que l’avion redécolle avant de recommencer les tirs.
Il existe une histoire que je crois vraie à propos de Gianni de Michelis, le ministre italien des Affaires étrangères de l’époque, qui a mené de nombreuses missions vaines dans la région. (Il était aussi, sans aucun lien avec cela, l’auteur d’un guide critique des discothèques italiennes.) Di Michelis n’était pas un ange lui-même (il devait purger une peine de prison pour corruption), mais même lui était dégoûté par la duplicité et le cynisme de ses interlocuteurs. Après une énième mission, Di Michelis fut interrogé par des médias hostiles sur la solidité de l’accord cette fois-ci. « Je l’ai par écrit ! », dit-il triomphalement, en brandissant l’accord. Inutile de dire que cet accord ne dura pas longtemps non plus. Dans ce cas, il était dans l’intérêt à court terme de chacune des parties de signer tout ce qui satisferait les Européens et les ferait partir. En revanche, lorsque les parties en présence se sont épuisées à la fin des combats en Bosnie et ont reconnu qu’elles ne pouvaient atteindre leurs objectifs par la force, elles avaient tout intérêt à signer un accord de « paix » reflétant la situation réelle et à transférer leurs luttes au niveau politique et à la manipulation de la communauté internationale.
Et dans le cas de l’Ukraine ?
La première question dans le cas de l’Ukraine est donc de savoir quelles parties pourraient avoir intérêt à proposer ou à accepter quel type de négociations et sur quel sujet. Comme le suggère cette question, le nombre de possibilités est très grand et nous pouvons donc nous attendre à de nombreuses discussions sur qui est prêt à « négocier » et qui ne l’est pas, les différents acteurs se parlant sans se parler. C’est clairement ce qui s’est passé dans une certaine mesure avec les « accords » de Minsk 1 et 2 (plus précisément, les procès-verbaux des conclusions admises). Chacun avait ses propres raisons de soutenir ou d’approuver ces documents, et ils semblent, comme d’habitude, avoir signifié des choses différentes pour différentes personnes.
Quelques précédents historiques
Très souvent, les parties à un accord sont inégales en termes de capacité à en appliquer les dispositions de toute façon. C’est particulièrement le cas des accords entre gouvernements et acteurs non étatiques. Un classique est l’Accord de paix global pour le Soudan de 2005, signé par le gouvernement et le Mouvement/Armée populaire de libération du Soudan. Le document était extrêmement complexe (reflétant la complexité de l’accord lui-même) et a rapidement dépassé la capacité des autorités de Juba à le mettre en œuvre. La décision du SPLM de demander l’indépendance en 2010 n’était donc pas une surprise, pas plus que la guerre civile qui a suivi. En fait, il y a tout un livre à écrire sur la tendance des mauvais accords de paix à favoriser les conflits : le cas le plus flagrant étant probablement l’accord de paix désastreux d’Arusha de 1993 entre le gouvernement de coalition et le Front patriotique rwandais.
En gardant ces réserves à l’esprit, nous pouvons nous tourner vers les différentes possibilités, pas nécessairement cumulatives, énumérées ci-dessus, avec quelques exemples historiques.
La première est celle des redditions organisées. Des prisonniers seront désormais capturés à toutes les étapes d’un conflit, mais surtout au début et vers la fin, des unités entières se trouvant dans une situation désespérée pourraient décider de se rendre. Les Russes se sont employés à créer des « chaudrons » pour les troupes ukrainiennes, qui pour la plupart – jusqu’à présent – ont combattu jusqu’au bout ou ont tenté de s’échapper en petits groupes. Le nombre de prisonniers capturés n’est pas clair, mais il est susceptible d’augmenter, peut-être de manière brutale, à mesure que l’armée ukrainienne commence à se désagréger, que de plus en plus d’unités sont isolées et que la situation générale de l’Ukraine semble de plus en plus désespérée.
C’est la situation la plus simple, et il existe des règles détaillées dans la Troisième Convention de Genève pour couvrir le traitement des prisonniers. Ces règles supposent que la guerre est toujours en cours et exigent que les prisonniers soient libérés à la fin des hostilités. Bien que ce processus ne soit pas si compliqué en soi, il existe toujours la possibilité de redditions massives d’unités ukrainiennes une fois que les combats s’approchent de leur conclusion inévitable, ce qui pourrait conduire à la fin effective, voire officielle, de la plupart des combats, du moins dans certaines zones. Il y aurait des conséquences politiques, mais aucun accord formel ou arrangement administratif spécial n’est nécessaire. Cela dit, le traitement détaillé des forces enemies cherchant à se rendre, ou trop gravement blessées pour combattre, a toujours été un sujet délicat et sensible. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats japonais blessés faisaient souvent exploser une grenade à main lorsqu’on les approchait pour obtenir leur reddition. Plus récemment, les talibans et autres combattants similaires qui ne reconnaissent pas ce que nous considérons comme les règles de la guerre se sont comportés de la même manière et ont souvent fait exploser des ceintures explosives une fois qu’ils étaient hors de combat. Dans le cas de l’Ukraine, ce niveau de fanatisme est peu probable à grande échelle, mais il y aura inévitablement des incidents, car des soldats fatigués et effrayés de part et d’autre interprètent mal les motivations de l’ennemi.
D’abord une trêve…
Cela dit, aucune guerre ne peut « se terminer » correctement sans un accord formel pour que les combattants cessent les combats. (Il y a évidemment des guerres, notamment contre des groupes irréguliers, qui ne « finissent » jamais vraiment, mais cela n’est pas ce qui pourrait se passer en Ukraine.) Ces accords ne doivent pas nécessairement impliquer des redditions massives : par exemple, l’armée yougoslave (VJ) s’est retirée en bon ordre du Kosovo en 1999, conformément aux accords conclus entre la VJ et la Force de l’OTAN au Kosovo. Étant donné la complexité de la situation, cela a été décidé par une résolution du Conseil de sécurité, mais ce n’est pas obligatoire.
Il est important de comprendre que ces accords, négociés entre commandants militaires, ne sont qu’un cessez-le-feu ou tout au plus un armistice. La différence entre ces deux termes, et en fait une trêve ou une cessation des hostilités, est essentiellement une question de degré. Les trêves et les cessez-le-feu peuvent être locaux (comme c’est le cas actuellement dans le sud du Liban) et temporaires (celui-ci est de soixante jours). Bien que l’on puisse supposer que la paix suivra, elle n’est en aucun cas garantie. Mais pour une cessation des hostilités et encore plus un armistice, on suppose que la guerre est définitivement terminée et que des négociations formelles sont sur le point de commencer. Ainsi, une fois de plus, il est facile de confondre ce qui a été proposé et ce qui a été convenu, et il est important de garder tous ces termes séparés dans votre esprit.
Pour les trêves et les cessez-le-feu, il peut s’agir simplement d’un accord visant à arrêter les combats et peut-être à retirer certaines forces de la zone de contact. Il peut également y avoir des échanges informels de prisonniers si les combattants pensent que cela les aidera politiquement. Les deux parties se mettront probablement d’accord sur un bref document qui définira les mesures à prendre. Ces accords sont toujours temporaires (bien qu’ils puissent être renouvelés) et ne conduisent pas nécessairement à des négociations de paix ou même à un armistice. Dans certains cas, les combats reprennent assez rapidement. Cela dit, les trêves et les cessez-le-feu ont généralement une raison d’être : soit interne – parce que les deux parties doivent se regrouper par exemple – soit externe, peut-être pour donner aux médiateurs extérieurs plus de temps pour faire pression en faveur d’un début de négociations.
…avant un armistice,
Un armistice est beaucoup plus sérieux et vise généralement à mettre un terme définitif aux hostilités réelles, permettant le début des pourparlers de paix. Les accords d’armistice peuvent être assez élaborés (l’accord d’armistice de la guerre de Corée comporte plus de 60 clauses, plus des annexes substantielles) et nécessitent beaucoup de négociations (deux ans dans ce cas, et deux semaines même pour convenir de l’ordre du jour). Leur contenu varie également beaucoup. L’accord coréen est relativement inhabituel, car il n’y a pas de vainqueur et de vaincu clairs et aucune clause ne couvre la reddition ou la démilitarisation. En revanche, l’accord d’armistice signé le 11 novembre1918 prévoyait le retrait des forces allemandes du territoire occupé, la remise de toutes leurs armes lourdes et la démilitarisation de la rive est du Rhin, entre autres. Et l’accord d’armistice signé par la France et l’Allemagne le 22 juin 1940 prévoyait la démobilisation des forces françaises et la reddition de la moitié du territoire du pays. (Il n’y a jamais eu de « traité de paix »). Ainsi, un « armistice » peut contenir presque tout ce que l’on veut, en fonction de la situation et de l’équilibre des forces entre les combattants.
Tout cela est important, car il semble probable que la plupart des experts et des politiciens occidentaux ne comprennent pas ces distinctions fastidieuses, et il est donc souvent difficile de savoir ce qu’ils envisagent en termes pratiques. L’enthousiasme pour un « conflit gelé à la coréenne » est un exemple d’illettrisme historique. Non seulement, comme je l’ai suggéré, l’exemple coréen était très atypique, mais il avait précisément pour but de déboucher sur des pourparlers de paix et une résolution du conflit lui-même, et non de servir de paravent pratique derrière lequel des forces pourraient être réorganisées. Même si les Russes proposent un « armistice », il n’est pas du tout certain qu’ils en auront la même idée que l’Occident : ils ont plus probablement en tête quelque chose du genre de ceux de 1918 ou de 1940, où la démobilisation et la remise des armes lourdes feraient partie des arrangements avant que les pourparlers de paix puissent commencer.
Tous ces accords sont en principe des accords entre militaires, signés par des commandants militaires, mais généralement exécutés sur la base d’instructions politiques claires. Mais même les armistices ne peuvent pas vous mener bien loin : la véritable question est de savoir ce qui se passera ensuite au niveau politique, à la fois en ce qui concerne le conflit immédiat et ses causes sous-jacentes, dans la mesure où les parties peuvent s’accorder sur ces sujets. Là encore, nous pouvons nous référer à l’histoire. En 1918, les combats entre les Alliés et les Allemands ont cessé le 11 novembre, mais il a fallu deux mois pour organiser la série de négociations généralement appelée « Versailles », et le traité principal avec l’Allemagne n’a été signé qu’en juin 1919 et n’est entré en vigueur que l’année suivante. En revanche, et malgré les efforts déployés dans les années 1920 et 1930, un traité global sur la sécurité européenne n’a jamais été une possibilité sérieuse. En effet, le problème des frontières territoriales et des ethnies qui ne coïncidaient pas était insoluble et rien ne pouvait empêcher l’Allemagne, le pays le plus peuplé et le plus riche d’Europe, de demander à un moment donné une révision du traité de Versailles, accompagnée de menaces de violence si nécessaire. Ce traité tentait de résoudre des problèmes insolubles et créait les conditions nécessaires, sinon suffisantes, pour la prochaine guerre. Comme je l’ai mentionné, l’armistice de la guerre de Corée devait être suivi de négociations politiques, mais cela n’a jamais eu lieu.
Et finalement, un traité
Nous entrons maintenant dans le domaine de la diplomatie, que ce soit entre États (comme c’était classiquement le cas), entre États et institutions, ou entre un État et des acteurs non étatiques. Nous avons ici un large éventail de possibilités, des traités, conventions et accords (et nous aborderons les différences dans un instant), aux accords techniques entre gouvernements (souvent sous forme de protocoles d’accord), en passant par des documents, déclarations et communiqués conjoints, jusqu’aux communiqués de presse et aux échanges de lettres.
Techniquement, un traité est un accord juridique contraignant entre les gouvernements d’États souverains nommément désignés, ce qui signifie que tous les traités sont des accords, mais que tous les accords ne sont pas des traités. D’autres États peuvent y adhérer sur invitation (par exemple le traité de Washington), mais aucun non-signataire n’a un droit de préemption pour y adhérer. Une convention est beaucoup plus ouverte et, en principe, n’importe quelle nation peut y adhérer. Il existe ensuite les conventions, ou accords, appellation que nous avons tendance à donner aux accords (sic) qui impliquent des acteurs non étatiques ainsi que des gouvernements. (Je donnerai quelques exemples de tout cela dans un instant.) Il existe quelques bizarreries comme le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui est en fait une convention, mais ainsi appelé parce que la plupart des négociations portaient sur ce qui serait inclus dans le statut créant la Cour. Dans ce contexte, « convention » et « accord » ont tendance à être utilisés de manière interchangeable. Historiquement, la diplomatie se déroulait en français, et le choix du mot peut dépendre de la langue dans laquelle les rédacteurs réfléchissent. Il en résulte une situation confuse où « accord » peut signifier tout type d’engagement mutuel entre États et autres parties, ou peut faire référence à un type spécifique d’accord juridiquement contraignant. Cela dépend du contexte particulier.
Ces trois types d’accords partagent la caractéristique de ce que l’on appelle le « langage des traités », qui est un format traditionnel et largement invariable. Un traité lui-même commence par le préambule, qui ne fait pas partie des dispositions du traité, mais représente le contexte politique convenu pour eux. Il commence par la liste des gouvernements concernés (donc « la République de Freedonia, le Royaume de Ruritanie et la Fédération Concordienne ») puis passe à quelques gérondifs, commençant normalement par « considérant » et comprenant « souhaitant », « rappelant » et « eu égard à », ainsi que de bonnes vieilles expressions verbales de secours comme « déterminé à » et « convaincu que », avant de se terminer par les mots « sont convenus de ce qui suit ». Dans un texte de convention, la même procédure est utilisée, sauf que le chapeau devient « Les États parties à la présente convention » et que pour les accords avec des acteurs non étatiques, le chapeau est ad hoc. Ainsi, les accords d’Arusha, rédigés à l’origine en français, étaient conclus entre « le Gouvernement de la République du Rwanda d’une part, et le Front patriotique rwandais d’autre part », et l’accord de paix global pour le Soudan, rédigé à l’origine en anglais, était conclu entre « le Gouvernement de la République du Soudan et le Mouvement/Armée de libération du peuple soudanais ». Dans tous les cas, nous nous attendons à trouver dans le texte des articles comportant des obligations et des droits, et l’utilisation de mots injonctifs tels que « doit », « s’engager » et « s’abstenir de ».
L’importance théorique de la formulation des traités est qu’elle confère au document un caractère juridiquement contraignant, obligeant les nations à faire ou à ne pas faire certaines choses. De plus, un traité doit être signé et ratifié par un État avant que celui-ci ne soit juridiquement lié par les obligations qui lui sont imposées, et il faut souvent que le Parlement adopte une loi nationale pour que les obligations du traité puissent être respectées. Un traité entre en vigueur lorsque tous les États l’ont ratifié, une convention généralement lorsqu’un certain nombre d’entre eux (peut-être les deux tiers) l’ont fait.
Mais la formulation ne garantit pas l’exécution
J’ai dit que le fait que la formulation d’un traité rende un document juridiquement contraignant était théorique, et je dois l’expliquer. En théorie, les nations sont juridiquement liées par les traités ratifiés, mais en réalité, il n’existe aucun moyen de faire respecter ces obligations, au sens où, par exemple, un contrat commercial national peut être imposé. Dans la pratique, la plupart des nations respectent le droit international la plupart du temps, ou du moins cherchent à justifier leurs actions en s’y référant. Ainsi, la Russie défend son intervention en Ukraine en faisant valoir que les deux républiques étaient à ce moment-là des États indépendants, cherchant l’aide de la Russie pour exercer leur droit inhérent à la légitime défense. Mais en fin de compte, le droit international n’est pas automatiquement exécutoire, (c’est pourquoi beaucoup de gens, dont moi-même, soutiennent que ce n’est pas du droit, mais que cela en a juste l’apparence). De plus, tout gouvernement compétent peut généralement trouver une justification à ce qu’il veut faire quelque part dans le maquis des textes de droit international. Il est possible de porter une affaire devant la Cour internationale de justice, mais la CIJ ne statue que sur les différends entre États. La récente affaire intentée par l’Afrique du Sud contre Israël portait sur le motif précis d’un différend entre les deux États au sujet de ce qui se passait à Gaza. Pour cette raison, il vaut mieux ne pas trop s’enthousiasmer quant à l’importance d’un traité, en soi, pour la solution du problème en Ukraine.
Ce qui nous ramène, en fait, à notre point de départ. Pour que la guerre en Ukraine prenne officiellement « fin », deux choses doivent se produire. Premièrement, les combattants et ceux qui les influencent doivent être véritablement convaincus qu’il est temps de parvenir à un accord sur un sujet précis (armistice, traité de paix, etc.). L’histoire regorge d’exemples de tentatives prématurées de parvenir à un accord de paix qui a mal tourné, et d’accords de paix qui n’ont pas reçu suffisamment de soutien, même parmi les signataires. Un armistice n’a rien de magique, et un traité de paix n’est pas non plus un talisman de protection. Tous ces accords dépendent entièrement de la volonté de les prendre au sérieux et de respecter leurs termes. Même les négociations les moins ambitieuses échoueront si les parties ne s’y engagent pas et si, dans la gamme des résultats imaginables, il n’y a pas un minimum de terrain d’entente.
Deuxièmement, les dispositions proposées qui doivent être convenus doivent être au moins acceptables à peine par les nations dont les représentants les approuvent. Si une autre règle pragmatique doit être que les négociations doivent se dérouler entre ceux qui ont le pouvoir (voir plus loin), les négociations entre des élites choisies ou auto-sélectionnées qui ignorent les autres forces, les qualifiant souvent d’« extrémistes » ou ne les prenant tout simplement pas en compte peuvent comporter de terribles dangers. Ainsi, au moment des négociations d’Arusha, il y avait à Kigali le dernier d’une série de gouvernements de coalition instables qui tentaient de combler le fossé entre plusieurs factions hutues fortement opposées, avec un seul ministre tutsi. Les négociations se déroulaient entre ce gouvernement et les envahisseurs anglophones, principalement tutsis, venus d’Ouganda, excluant ainsi presque entièrement les locuteurs tutsis francophones natifs, ainsi que les importantes forces hutues opposées à toute négociation avec l’ennemi de classe traditionnel. Si les forces impliquées n’avaient pas été poussées à négocier par des étrangers, il est peu probable qu’elles les aient entamées, et leur issue était si instable que la seule question était de savoir quel camp recommencerait en premier la guerre.
Mais c’est un schéma courant dans l’histoire. Le traité anglo-irlandais de 1921 (techniquement les « Articles de l’accord » car il n’était pas rédigé dans le langage du traité) a été amèrement controversé du côté irlandais dès le début des négociations, et ses opposants pensaient que leurs représentants avaient trop facilement cédé à la pression britannique. Le nouveau cabinet irlandais a voté à seulement 4 contre 3 pour accepter l’accord, et le nouveau Dail (parlement irlandais) l’a approuvé à une faible majorité seulement. Les négociateurs irlandais étaient conscients de la fragilité de leur position : ainsi le célèbre échange entre le négociateur britannique Lord Birkenhead (« M. Collins, en signant ce traité, je signe mon arrêt de mort politique ») et le négociateur irlandais Michael Collins (« Lord Birkenhead, je signe mon véritable arrêt de mort »). Collins avait raison, et il a été assassiné peu de temps après. Le traité a provoqué la guerre civile irlandaise de 1922-23, qui a compliqué la politique irlandaise (et britannique) jusqu’à aujourd’hui. La mode est aux accords de paix « inclusifs », dans lesquels toutes les nuances sont représentées. Ce n’est pas forcément une mauvaise idée, et peut être opportun lorsque les enjeux sont relativement faibles. Mais au bout du compte, il y a ceux qui comptent dans les négociations et ceux qui ne comptent pas, et les accords qui tentent d’inclure tous les points de vue sont souvent trop fragiles pour survivre très longtemps. De toute façon, les accords aboutissent toujours à ce que certaines parties soient déçues: il ne peut en être autrement. L’exemple le plus frappant est celui de l’accord laborieux de Sun City de 2003 pour la RDC, négocié par les Sud-Africains, qui a tenté de reproduire les procédures inclusives et exhaustives qui ont conduit à la fin de l’apartheid dans un environnement auquel ils n’étaient absolument pas adaptés. A l’inverse, écarter des participants parce qu’on ne les aime pas est tout simplement stupide : en témoignent les problèmes causés par l’échec obstiné de l’Occident à engager le dialogue avec l’Iran sur plusieurs questions où son influence est fondamentale. On ne sait pas exactement comment cela va se passer en Ukraine, et tout accord réussi devra combler le fossé entre le maximum que l’Ukraine peut offrir sans déclencher une guerre civile et le minimum que l’opinion publique russe peut accepter. Quel que soit le gouvernement qui survivra en Ukraine, il est peu probable qu’il ait suffisamment de puissance militaire pour vaincre les rebelles extrémistes, et les Russes ne feront pas le travail à sa place.
Et tout dépend de la bonne volonté des parties
Une exigence commune à tous ces cas est un certain degré de flexibilité sur la forme et la procédure, s’il existe une réelle volonté de résoudre le problème. En revanche, on peut généralement dire que des partenaires potentiels ne sont pas sérieux lorsqu’ils commencent à discuter de questions de procédure (parfois appelées le problème de la « forme de la table »). Pour l’instant, nous sommes dans la phase déclarative, théâtrale, où différents acteurs formulent des exigences et tentent d’exclure les possibilités de négociations et leur issue. Une partie de cela, en particulier du côté occidental, relève de l’auto-illusion, mais une partie représente également les limites de ce qui peut être dit publiquement, ou l’établissement d’une position maximaliste qui peut être nuancée plus tard si nécessaire. Mais ici comme ailleurs, l’Occident a adopté des positions, et a soutenu celles de l’Ukraine, qui sont si extrêmes qu’il sera difficile de revenir en arrière.
Il ne faut donc pas prendre trop au sérieux le refus russe de négocier avec un gouvernement dirigé par Zelensky, sous prétexte que son mandat a expiré. Il s’agit probablement d’une position de propagande, qui divise le gouvernement de Kiev contre lui-même et prépare le terrain au cas où une concession (symbolique) serait nécessaire à un moment donné. En fait, les stratégies de négociation russes ont été remarquablement pragmatiques : la première guerre de Tchétchénie s’est terminée en 1996 par un accord militaire, suivie l’année suivante par un traité officiel entre la Russie et le nouveau gouvernement de Tchétchénie. La deuxième guerre n’a jamais officiellement pris fin, et les Russes étaient heureux de déclarer victoire et de transmettre le problème aux dirigeants tchétchènes pro-russes.
Ces deux épisodes illustrent une vérité qui s’applique à toute négociation ou à tout accord : ils doivent refléter les réalités sous-jacentes. Dans le premier cas, les Russes étaient sur la défensive ; dans le second, avec leurs alliés tchétchènes, ils avaient effectivement gagné. Mais des dommages énormes ont été causés au fil des décennies par des traités normatifs et idéalistes qui tentent de créer des situations sur le terrain plutôt que de les refléter. Aussi difficile que cela puisse être à accepter, il est souvent préférable de poursuivre les combats jusqu’à ce qu’il soit évident que quelqu’un a gagné ou que personne ne le peut. Le cas classique est bien sûr celui de l’Allemagne en 1918, où, sur le papier, les forces allemandes étaient encore capables de résister et occupaient encore des parties de la France et de la Belgique. L’histoire ultérieure aurait pu être très différente si l’état-major n’avait pas eu une dépression nerveuse et déclaré la guerre perdue. En Ukraine, il y a peut-être un danger positif à ce que les Russes acceptent d’entamer des négociations trop tôt, car cela permettrait aux légendes du « coup de poignard dans le dos » de proliférer. Ce n’est que lorsqu’il sera clair que l’Ukraine est définitivement vaincue que ces dangers politiques pourront être minimisés, même s’ils ne peuvent jamais être exclus. Et à ce stade, la forme et le contenu de toute négociation devront partir de la situation sur le terrain, qui pourra ensuite être mise par écrit.
En définitive, il faudra bien reconnaitre la première défaite militaire de l’Occident
J’ai beaucoup insisté sur les difficultés de la négociation, les limites des textes en l’absence de volonté ou même de capacité, et le fait que, en dernière analyse, personne ne peut contraindre un pays à respecter un traité. Cela suggère que quels que soient les documents signés, ils devront être soutenus non pas par quelque chose d’aussi éthéré que des « garanties de sécurité », mais plutôt par une capacité unilatérale des Russes à punir le non-respect des accords. Il est tout à fait possible, en fonction de la manière dont la guerre se terminera, que l’Occident veuille également faire pression sur une future Ukraine pour qu’elle soit raisonnable, car une fois que la soif de sang se sera dissipée et que le coût économique et politique de la guerre sera pleinement connu, il est peu probable que l’Occident veuille encourager davantage l’aventurisme ukrainien. Quoi qu’il en soit, la capacité de l’Occident à soutenir militairement l’Ukraine à ce stade sera très limitée.
Cela exclut implicitement, bien sûr, un règlement final qui s’attaquerait aux fameuses « causes sous-jacentes » du conflit. Nous pouvons continuer à parler indéfiniment de nouveaux traités de sécurité européenne, mais je crains que le temps de cela soit passé depuis plus de trente ans et qu’une telle opportunité ne se présentera plus. Même à cette époque là, les problèmes d’« intégration » d’un pays aussi grand et puissant que la Russie (et qu’en est-il de l’Ukraine et de la Biélorussie ?) dans un ordre de sécurité européen hypothétique étaient immenses, et peut-être insolubles. Aujourd’hui, cependant, le minimum que les Russes accepteraient serait plus que le maximum que les pays européens accepteraient. La réponse, une fois de plus, sera un rapport de force de facto défavorable à l’Occident.
Aucun d’entre nous ne sait vraiment comment Moscou entend gérer la fin de la guerre, ni même si elle a déjà pris sa décision. Mais l’approche la plus efficace serait que la Russie crée des faits sur le terrain contre lesquels il n’y a pas d’appel, après quoi le respect global – qui est plus important en fin de compte que les détails du texte – est beaucoup plus probable. L’Occident comprend-il cela ? Je ne le pense pas. Je pense que nous allons assister à une confusion bien plus grande entre différentes idées et différents termes, à une idée très exagérée de ce que l’Occident peut accomplir par le biais de négociations (s’il est autorisé à participer, bien entendu) et à une résistance maussade à tout texte de traité qui codifierait la première défaite militaire conventionnelle sans ambiguïté des temps modernes pour l’Occident. Espérons que rien de tout cela ne fasse trop de dégâts.