I’m taking a week off from trying to understand the world, because I have other things to do and places to go. I’ll be back with another essay next week.
In the meantime, a reminder that Spanish versions of my essays are now available here, and some Italian versions of my essays are available here. Marco Zeloni is now also posting some Italian translations, and Italia e il Mondo recently published an interview with me, in English and Italian. Many thanks to all the translators. This week, I’m especially pleased to present a French translation of one of my recent essays by Philippe Lerch, an occasional commenter on this site. I’m very grateful to him, and I hope his example will inspire others to have a go also.
The gratifying increase in the number of subscribers (crawling towards 4500 now) means that people are reading and commenting on my older essays, and in some cases asking for my replies. I will get round to this as soon as I can.
These essays are free and I intend to keep them so, although at the end of this month, I’ll introduce a system where people can make small payments if they wish to. But there are other ways of showing your appreciation as well. Likes are flattering to have, but also help me judge which subjects people are most interested in. Shares are very useful in bringing in new readers, and it’s particularly helpful if you would flag posts that you think deserve it on other sites that you visit or contribute to, as this can also bring new readers. And thanks for all the very interesting comments: keep them coming!
And now over to Philippe, who has translated an essay of mine entitled “So Where Do We Go From Here”
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Lorsque vous écrivez des essais de ce genre, les lecteurs et les commentateurs ont non seulement une opinion sur ce vous avez écrit, mais également sur ce que vous auriez du écrire. Dont acte, merci. La réalité est que la plupart des commentateurs, publics ou privés, m’incitent à rédiger des textes plus longs et pas plus courts. « Pour quelle raison n’avez-vous pas traité ce sujet ?, ... je pense que vous omettez cet aspect important, ... votre essai est incomplet car vous négligez, ... vous auriez-du évoquer cet approche .... etc.
Je tente, lorsque cela me paraît possible (sans y parvenir à chaque occasion) de limiter mes essais à cinq milles mots. En admettant une publication hebdomadaire cela correspond à environ trois bouquins par année. Ceci représente un engagement autant pour l’auteur que pour son lectorat. Alors que souvent le sentiment de devoir en dire plus me gagne, je ne souhaite pas submerger les lecteurs avec une prose qu’ils n’auront ni l’envie ni le temps de lire entièrement.
C’est lorsque mes essais traitent de questions relatives à l’infantilisme, l’incapacité, l’amateurisme des médias dominants et de la classe dirigeante de l’Ouest en général que ce souhait était marqué. Les lecteurs s’interrogent sur les conséquences. Où allons-nous ? Que se passera t’il après « l’effondrement » (crash en anglais), que faire ? On trouve des interrogations similaires, par exemple dans les essais de John Michael Greer qui s’inquiète sur des sujets comparables et dont je vous recommande vivement la lecture.
Dans ce qui suit, je vais avec cinq milles mots présenter un point de situation, rassembler différents fils de discussions, et tenter de d’assembler une image raisonnablement cohérente de notre situation, de ce qui pourrait arriver et pour quelles raisons et
comment continuer. Je souhaite évoquer trois facteurs de nature à guider notre compréhension et illustrer le déroulement d’une crise: 1) la nature du problème; 2) les individus censés gérer ce problème; 3) la marge de manœuvre que leur confère le système dans lequel les responsables évoqués en 2) évoluent. Au risque de me répéter, les décisions ne sont pas simplement « prises » mais sont le fait d’un individu isolé ou d’un groupe d’individus. Les faiblesses, les préjugés, le niveau d’ information et de connaissance sont à même d’impacter la prise de décision.
Illustrons le propos avec l’exemple du déclenchement de la Première Guerre Mondiale. A première vue, les systèmes politiques étaient comparables; des têtes couronnées liées par le sang. Par contre, les mécanismes de décisions, l’équilibre des forces entre la Couronne, le Parlement, les Forces Armées étaient différents dans chaque pays. A titre d’exemple, le Chef d’Etat Major des Armées autrichiennes, Conrad von Hoetzendorf, eut une influence dominante (primus inter pares) sur les évènements d’août 1914. Conrad était obsédé depuis des années par l’idée d’intervenir, à titre préventif, militairement contre la Serbie et même contre l’Italie. Le fait qu’il souffre de dépression à la suite du décès de son épouse ainsi que son amour pour une Dame de la noblesse italienne à qui il écrivait des missives enflammées n’étaient pas de nature à juguler ses obsessions. Conrad joua vraisemblablement un rôle important au cours de cette crise, même si il ne l’a pas personnellement déclenchée ni même mesuré les conséquences. Il était mal informé sur les réalités stratégiques de son temps. De plus, son influence réelle dépendait de la structure du pouvoir de la Vienne de l’époque. Il va sans dire que ces structures différaient entre Berlin Moscou Londres et Paris.
Les trois facteurs évoqués plus haut sont liés de manière dynamique. J’aimerais illustrer cette dépendance avec une image empruntée à la dialectique: la thèse est le problème en soi, l’antithèse représente les tentatives des individus et des institutions de le résoudre (ou non) en tenant compte des caractéristiques et des faiblesses des protagonistes et la synthèse est le résultat de ces efforts qui, à leur tour, génèrent de nouvelles difficultés.
Dans ce qui suit, je vais illustrer mon propos à l’aide de quatre exemples de problèmes futurs, esquisser quelques conséquences tout en renonçant à m’engager dans les détails. D’une part je ne suis spécialiste d’aucunes de ces questions, d’autre part, au vu de l’incertitude relative aux évènements qui pourraient découler des problèmes évoqués, il est inutile de tenter l’inventaire de toutes les possibilités. Un bref paragraphe par sujet: l) limite des resources naturelles 2) modifications climatiques, y.c. la possibilité de changements violents 3) modification de l’équilibre économique, politique et militaire mondial 4) les effets du néolibéralisme qui s’observent par une déliquescence du tissus social, une distribution de richesse de plus en plus asymétrique, une diminution des compétences (de-skilling) des sociétés et de leur gouvernants tout en créant des chaînes d’approvisionnement complexes et fragiles souvent nécessaires à la vie de tous les jours.
Il est évident que ces questions sont liées. Un flux de population, par exemple, peut être déclenché par un conflit et par l’insécurité associée, la destruction de l’habitat ou de l’environnement, ou une rupture abrupte des liens sociaux. L’impact de ce genre d’évènements sera différent dans chaque pays. Une nation en ascension pourrait être tentée de s’accaparer les ressources d’une nation en déclin. De ce fait, l’accès aux ressources et la possibilité de les exploiter pourraient modifier le paysage stratégique et militaire de cette nation. L’impact de ces problèmes sur les sociétés concernées variera en fonction de la complexité, la fragilité et l’organisation interne de ces population elle mêmes.
Le fait que les ressources naturelles soient finies (limitées) n’est en soi pas controversé. Ceci n’ implique pas que toutes les ressources soient un jour épuisées, ni même que ces limites soient atteintes simultanément. D’un point de vue pragmatique, le rayonnement solaire, les vents, l’eau ainsi qu’une forme de production de puissance électrique, pourquoi pas basée sur l’énergie nucléaire, seront disponibles encore longtemps (à l’ échelle de temps humaine). De plus, le passage à une économie circulaire (recyclage, optimisation des procédés de conception de fabrication) devrait permettre l’exploitation de certaines ressources encore
longtemps. Cependant, la question tenace reste la limite des resources disponibles, ce qui signifie que le solde disponible ne permettra pas de couvrir les besoins mondiaux indéfiniment.
La progression des modifications climatiques anthropogéniques est telle qu’il semble illusoire de stopper les processus en cours; un retour en arrière relève de la fiction. Des solutions théoriques existent. Cependant, dégager un compromis sur la nature des mesures à appliquer semble tout aussi difficile à trouver que d’ensuite les mettre en pratique. Le degrés de complexité des éco- systèmes est tel que même les experts renoncent à faire des prédictions détaillées. Malgré tout et au vu de la situation, il est raisonnable de postuler que nous allons au devant de changements environnementaux d’importances, de nature à provoquer des migrations d’animaux, de poissons et d’êtres Humain. A ceci s’ajoute la modification de certaines techniques de pêche et d’agriculture, l’engloutissement progressif de certaines zones côtières, la modification des courants océaniques à même d’affecter le climat de manière imprévisible ainsi que la propagation de maladies dans des régions où elle ne sont pas, à ce jour, endémiques.
L’ évolution du conflit en Ukraine est un symbole du déplacement de la puissance économique et militaire - partant une diminution de la capacité à influencer de l’Ouest. Il en résulte un monde dans lequel la puissance est distribuée ( un terme plus approprié que
« monde multipolaire ») ce qui imposera d’importantes pressions sur les systèmes politiques des états Occidentaux et leurs Organisations Internationales. S’il est incertain que l’ Union Européenne et l’OTAN puissent maintenir leur forme actuelle, des institutions non-occidentales telle que l’Organisation de Shanghai pour la Coopération pourraient gagner en l’importance. Il en résulterait un véritable choc pour les nations qui se considèrent aujourd’hui comme les mentors des activités mondiales. A ce titre, je ne parierais pas sur l’avenir de la stabilité des Etats-Unis d’Amérique, par exemple.
Puisque les nations et les sociétés sont bien plus qu’un assemblage aléatoire de groupes d’individus en interaction économique et parce qu’en premier lieu un système économique fonctionnel ne profite pas favorablement lorsque les sociétés en interactions dysfonctionnent, et parce qu’en sus le néo-libéralisme s’est attaché, durant ces quarante dernières années, à affaiblir les structures sociétales ainsi que la capacité des gouvernements à gouverner, nous nous approchons rapidement de la situation critique au delà de laquelle nos sociétés occidentales seront incapables de fonctionner. De plus, plusieurs aspects de ces sociétés font penser à une forme de « régression vers l’enfance », leurs autorités ne semblent plus capables d’accomplir certaines tâches d’importances pour le bien de la Collectivité. Une fraction importante des tâches de certaines autorités sont confiées à des sous-traitants en informatique, voire à des sous-traitants de sous- traitants appartenant à d’immenses conglomérats capable de faire faillite, de perdre l’intérêt à ce genre de mandat, ou après examen, s’avérer être globalement inféodés au Ministère Chinois de la Sécurité.
A mon avis, deux éléments émergent de ce bref inventaire. Premièrement, chercher à contenir - avant même de penser à résoudre - un seul des problèmes évoqués ci-dessus réclame, à minima, une intense coordination au plus haut niveau à l’échelle nationale et internationale. A cela s’ajoute la nécessité de disposer d’un haut degrés d’expertise technique et de discipline de gestion ainsi que d’immenses ressources humaines et financières, le tout réparti sur des années voire des décennies et guidé par une robuste planification. Oui, j’ai réagi de la même manière, inutile de rêver à ce qui apparaît comme inaccessible. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer la manière dont l’ Occident vient de gérer, collectivement, la crise du Covid. Je crains que l’approche utilisée se répète au cours des prochaines crises.
Brièvement, la réaction des autorités occidentales peut se résumer à
Déni
Panique
Remède magique imposé Déni, deuxième épisode.
De fait, la Covid est vaincue grâce à la magie des vaccins, le problème est réglé et toute personne qui met en question ce narratif doit être censurée.
Le deuxième élément à dégager est que tous ces facteurs interagissent de manière difficile à prédire, entraînant des conséquences que même les gouvernements les plus au fait sont bien incapables de prévoir. Prenons un exemple: au cours des dernières années vous avez probablement, au cours d’une visite chez IKEA, entendu que telle pièce de rechange ou tel article courant n’est momentanément pas disponible en raison d’une rupture de stock; un sous-traitant localisé dans une lointaine région de la Chine continentale est en faillite suite à l’épidémie du Covid. Cet épisode anodin est un avant goût de ce qui pourrait se passer dans n’importe quel autre domaine en raison de la fragilité des chaînes d’approvisionnement. Les conséquences d’une interruption d’apparence anodine sont de nature à imposer des effets cumulatifs particulièrement difficile à prévoir. Des « faiblesses » occidentales de cette nature pourraient offrir à des Etats comme la Russie, la Chine ou l’Inde l’opportunité d’extraire un capital politique: faites ceci, ne faites pas cela, sinon nous ne livrerons plus tel ou tel article. Les conséquences économiques seraient sans doute importantes, mais l’impact sur l’état d’esprit stratégique occidental, habitué à faire la pluie et le beau temps sur toute la planète, s’en trouverait particulièrement affaibli.
Prenons un exemple plausible capable d’impacter la vie des citoyens ordinaires; une coupure de courant causée par une ou plusieurs raisons combinées: entretien insuffisant, manque de moyens financiers et de compétences, pièces de rechanges indisponibles en provenance d’outre mer, manque d’énergie primaire à transformer, sabotage (comme récemment en France) ou une charge sur le réseau particulièrement élevée. Dans un immeuble de rapport de plusieurs étages privé d’électricité durant une journée on peut s’attendre à devoir faire face à l’une ou plusieurs des conséquences suivantes: Ascenseurs à l’arrêt. Monter et descendre cinq ou dix étages dans les escaliers (éventuellement non éclairés), à moins d’avoir une mobilité réduite. Impossibilité de sortir la voiture du garage. Dans les appartements, pas de lumière, pas de chauffage, internet et communications coupées, pas d’eau chaude, voire pas d’eau du tout dans les appartements situé en haut de l’immeuble, pas de sanitaire. (Combien de bouteilles d’eau gardez-vous en réserve dans votre cuisine pour parer à une telle éventualité ?) Et ces serrures électroniques de la porte de l’immeuble qui s’ouvrent automatiquement (risque incendie) laissant le passage à tout un chacun. Maintenant, imaginons que la coupure s’étendue sur tout un quartier durant quelques jours. Les commerces fermés, les distributeurs de billets de banque bloqués, la nourriture qui pourrit dans les super-marchés en raison de la rupture de la chaîne du froid. A l’extérieur, pas d’éclairage public, pas de signalisation routière, les bâtiments publics fermés, les voies de circulations congestionnées et des individus entreprenant se frayant un chemin afin de dévaliser ce qui peut l’être dans les commerces. Pendant ce temps, par un effet domino, les transports public de la ville sont congestionnés. Les services d’urgences peinent à arriver aux destinations. Personnes ne peux communiquer avec ceux qui en auraient besoin. Les blessées ou les gens en attente de soins urgents tentent, à pied, de quitter la zone concernée. Deux pannes de ce type sont de nature à paralyser une grande ville.
Du temps ou les gouvernements établissaient des plans d’urgences, on estimait qu’une grande ville serait inhabitable après trois jours de coupure d’électricité. Depuis, le degrés de complexité
de nos sociétés s’est accru alors que la capacité à gérer des désastres majeurs s’est fortement réduite. Les inondations étaient également prises au sérieux. Dans les années 70, la Barrière de la Tamise fut érigée pour protéger Londres d’inondations capables, d’après les estimations, de dévaster 110 km carrés (approx 45 square miles) de la capitale. Cet ouvrage a été utilisé 6 à 7 fois par année ces dernières années pour parer au risque croissant de marée haute. Une rénovation est nécessaire, mais les entreprises de construction, l’expertise nécessaire et la capacité de gestion de projet ne sont plus disponibles au Royaume-Unis.
Bien, mais ce sombre tableau n’est que la moitié du problème. Admettons qu’une ville d’environ 1 millions d’habitants deviennent inhabitable en raison d’une rupture d’alimentation électrique, d’une inondation ou une autre cause d’origine climatique ou logistique, voire une combinaison de causes. Que faire avec ce million de personnes. L’évènement peut se déclencher au beau milieu d’une période caniculaire, ou d’un hiver rigoureux ou lors d’une mousson particulièrement torrentielle. Il est imaginable que certaines personnes sinistrées soient porteuses d’une maladie infectieuse. Il se trouve qu’aune société occidentale est actuellement en mesure d’affronter un défit de cette taille. Les forces armées sont réduites, les organisations de défense civile sont dissoutes et les services d’aides bénévole seraient rapidement débordés. Les gouvernements n’ont d’autres possibilités techniques que de diffuser des « tweets » rappelant à tous que les personnes vulnérables ne devraient pas être stigmatisées. A l’inverse, l’Europe pourrait être submergée par des millions de réfugies en provenance de l’Est alors que les infrastructures, les compétences techniques, les infrastructures, les ressources nécessaires à affronter ce type de situation n’existent plus.
Je n’irai pas plus loin. Même en négligeant les détails je pense qu’il est évident que les états occidentaux d’aujourd’hui sont non seulement incapables de prévenir ce genre de désastre, mais que les facultés à traiter les symptômes et les conséquences font également défaut. Théoriquement, à ce jour, les principaux effets négatifs du changement climatique pourraient être évités au prix
d’une gigantesque opération de coordination, la crise de l’énergie pourrait être maîtrisée par une combination de mesures qui commencent par le rationnement, puis une modification des modes de vie ainsi que des investissements massifs dans des technologies alternatives. Tout le monde se rend compte que rien de tout cela ne se réalisera. Mon propos n’est pas plus pessimiste que de prétendre que ce vieux tracteur n’est plus en mesure de tirer une charge par dessus la colline, et de toute façon il n’y a pas de pièce de rechange. L’essentiel de ce qui précède est adossé aux compétences gouvernementales, et repose sur le socle scientifique et industriel des nations. L’ensemble de ces compétences sont bien plus faciles à détruire qu’a reconstruire. Puisque les structure sociales informelles sous-tendent généralement les structures formelles, lorsque les structures informelles manquent ou sont détruites, construire ou restaurer des structures formelles s’avèrera difficile voire impossible. On pourrait argumenter que l’ascension (montée en puissance) des états occidentaux aux 19er et 20er siècle a été une anomalie historique, rendue possible en raison de la révolution industrielle et des besoins d’une classe moyenne en devenir combinée à une augmentation de la complexité des sociétés. De plus, un forme d’éthique commune semble également avoir joué un rôle. En Grande Bretagne, c’était La Reine et la Nation à quoi s’ajoute la morale rigide de l’ère Victorienne ainsi que les valeurs classiques et religieuses. En France, il dut s’agir de Patrie et République. Au Japon, pour prendre un exemple lointain, une forte tradition nationaliste et l’élite des Samouraïs qui réalisa que si ils restaient les bras ballants le Japon deviendrait la prochaine colonie européenne. Quelles sont nos motivations aujourd’hui ?
Revenons à la dialectique évoquée au début de cet essai pour dire que l’ensemble de difficultés qui nous attendent sont d’une extrême gravité, que les individus censés les affronter représentent probablement la classe politique la plus faible de l’histoire contemporaine. De plus, les conditions environnantes limiteraient sérieusement la marge de manœuvre, même si ces gens savaient par où commencer. Par conséquent, l’interaction entre la situation et la réponse qui est choisie n’est pas de nature à donner des résultats positifs.
Nous sommes mal barrés. Si l’on s’intéresse à présent aux possibles difficultés à venir, (oui, j’y arrive dans un instant) il est indispensable d’avoir les idées claires sur leurs nature et sur les mesures à prendre afin de s’y confronter. En premier lieu, il est important de comprendre que nos gouvernements affaiblis et « en adolescence » ne seront pas en mesure de proposer des mesures appropriées. Il ne s’agit pas de discréditer toutes les propositions d’actions nécessaires et utiles, mais l’immensité de la tâche dépasse les moyens réels à disposition; nous sommes allés trop loin. De plus, il n’y a rien à attendre du secteur privé; au pire son intervention aggravera la situation.
Au vu de ce qui précède, il semble inutile de se mettre en position de demander (par des démonstrations ou en invoquant les canaux législatifs) à nos gouvernements de prendre les choses en main et de « faire » quelque chose. Les réunions annuelles des experts étudiant le climat, COP, devraient continuer en raisons de l’inertie acquise; les participants à ces conférences, malgré leur bonne volonté, ne sont pas ( or « plus » ) en mesure d’influencer politiquement ou techniquement le cours des choses. Dès lors, les initiatives destinées à « faire prendre conscience » ou à « faire pression sur les gouvernements » sont inutiles, voire contra- productives. Il est inutile d’investir des ressources à tenter de convaincre un gouvernement à faire quelque chose qu’il n’est pas en mesure d’accomplir ou de s’aventurer à traiter des problèmes qu’ils ne peuvent pas résoudre. Si certains choisissent de se coller à des tableaux, pourquoi ne pas passer le reste de son existence à contempler le ciel ou son carrelage. Lors de chaque action politique il est utile de se poser la question: lorsque nous faisons ceci, qu’est-ce qui n’est pas fait en attendant ? Cette question n’est pas anodine puisque chaque initiative politique prise amène à en exclure au moins une autre. Nous sommes encore et toujours dans un monde qui confond effet d’annonce avec action réelle. Dans ce qui suit, je vais évoquer les raisons qui donnent à penser que cela pourrait bientôt changer.
Je ne prétends pas « qu’on ne peut rien faire ». Il est urgent d’identifier des mesures pratiques et de les appliquer. Prenons un exemple extrême: il est plausible que le contrôle au frontières nationales soit re-introduit par étapes, plutôt que par le truchement d’un pénible rétro-pédalage des règles de Bruxelles. De l’autre côté du spectre, une action d’apparence aussi anodine que celle de planter des arbres dans les villes est de nature à améliorer la situation locale et particulièrement facile à réaliser. Ce qui me parait important c’est de cesser de dissiper de l’énergie pour des actions ou des demandes d’actions à caractère théâtral sans effet concret, en dépit du fait que l’air du temps (la culture dominante) nous incite à faire les deux.
A mesure que les gouvernements et les principales grandes entreprises voient leur influence se marginaliser, d’autres acteurs vont nécessairement gagner en d’influence puisque la politique à horreur du vide. La perspective occidentale sera amenée à la révision dès que le monde changera au profit d’une distribution plus large de systèmes de pouvoir politique et économique dans lequel, graduellement, les décisions serons prises par des pays ou des institutions dont nous n’aurons plus le contrôle et dont les conséquences deviendront désavantageuses voire néfastes, pour nous. Nous allons devoir nous habituer à vivre avec cette nouvelle donne, associée à de nouvelles super-puissances militaires, et dans un occident essentiellement désarmé, avec la possibilité d’avoir, en Europe à tout le moins, des conflits armés et des crises politiques internationales dans notre arrière cours. Il est important de comprendre qu’un occident de-industrialisé ne sera peut être plus capable de se procurer aisément certains biens de consommation ou certains composants de haute technologie puisque que le développement scientifique et technique se délocalise graduellement dans des régions non-occidentales. Cette nouvelle donne entraîne la perte contrôle des technologies nécessaires à l’existence.
L’argument final que je souhaite évoquer concerne le futur et la manière dont l’inévitable déclin se dessine. Ce « déclin » n’est pas une occurrence unique mais plutôt une série de processus ayant leur propre dynamique. De manière générale, des éléments de notre société vont disparaître, à l’instar de ce qu’a vécu le héros de Hemingway qui se vit tomber en faillite graduellement, puis soudainement. En d’autres termes, les compétences auxquelles sont adossées nos sociétés risquent de ne pas décliner de manière graduelle et civilisée. Ceux qui prônent la décroissance (de- industrialist) rêvent d’une lente et graduelle diminution de la disponibilité des ressources, en particulier l’énergie primaire, combinée à une adaptation graduelle aux effets du changement climatique. Il se trouve que nous savons beaucoup de choses sur le déclin des systèmes complexes et cela ressemble plutôt à ce que subit la structure portante d’un pont qui ploie sous les contraintes en augmentation pour finalement s’écrouler. Aucune société antérieure à la notre n’est aussi complexe sur les plans formel et technique. Ceci implique que le point d’inflexion, au delà duquel le système ne résiste plus aux contraintes, reste particulièrement difficile à situer.
Certains systèmes sont intrinsèquement redondants et flexibles, et ce généralement parce qu’ils ne sont pas centralisés. Une illustration particulière est fournie pas les brigades de pompiers et les sections d’alarme aérienne allemandes qui furent capables de (partiellement) fonctionner jusqu’en 1945, précisément en raison de leur mode d’organisation délocalisé. A l’inverse, pour des systèmes étroitement couplés au niveau national ou international, de modestes perturbations sont de nature à les rendre non opérationnels. Par exemple, si 20 % des trains européens sont - indépendamment des raisons - incapables de rouler quotidiennement et ceci durant une période prolongée, le trafic ferroviaire finira pas s’effondrer. Par conséquent, en lieu et place d’une « réduction de la voilure » lente et contrôlée, il faut s’attendre à une série d’embardées descendantes aussi incontrôlées que soudaines, jalonnées par des paliers temporaires, le tout sans logique apparente. La propagation des terribles maladies du temps de mon enfance, par exemple (variole, varicelle), a été contenue grâce à l’immunisation collective. Si, pour une raison ou une autre les vaccins venaient à manquer, et que le taux d’immunisation reculait au dessous des 95-90 %, la situation deviendrait rapidement critique.
Comment allons-nous affronter tout cela ? Premièrement, si nous sommes confrontés à une série de crises et de changements inédits alors que nos capacités (institutionnelles ou formelles) à les affronter sont au plus bas, l’essentiel dépendra d’individus et de groupe d’individus capables d’actions concrètes. Les crises semblent induire un caractère Darwinien sur les groupes et les structures: ceux qui sont le mieux adaptés à les affronter se retrouvent propulsés en position de responsabilité. Ceci s’observe dans les forces armées et les gouvernements, généralement au début d’un conflit, lorsque les compétences requises en temps de paix ne sont plus adaptées à la situation.
Il n’est pas aisé de réaliser à quel point la fonction gouvernementale est devenue, au cours des dernières décennies, théâtrale et virtuelle. Il semble que les gouvernements n’ont pas seulement perdu en capacité d’action mais surtout ne semblent pas s’en soucier. Parler de ce qu’il faudrait faire est assez générique. Faire porter le chapeau à d’autres (en particuliers à des acteurs ou facteurs externes), condamner votre opposant ou rival sur la base d’arguments idéologiques ou financiers, habilement masquer un problème voire oser dénier son existence, représente la méthode standard d’un gouvernement aujourd’hui. La crise du Covid illustre le propos de façon éclatante. La question de fermer les écoles a été débattue dans plusieurs pays. Les opposants argumentaient, à juste titre, que la fermeture des établissements scolaires se ferait sur le dos du développement intellectuel et social des enfants. D’autre part, les tenants de la fermeture argumentaient que renoncer à garder les enfants à la maison alimenterait le phénomène épidémique, ce qui n’est pas contestable (pour des raisons épidémiologies). Les gouvernements, le cul entre deux chaises, tiraillés entre deux pôles durent affronter la terrible tache de prendre une décision à caractère réel. Le résultat se résuma à confusion, ordre et contre ordre jusqu’a l’apparition de la potion magique, les vaccins, qui permirent aux gouvernements d’éviter la confrontation directe avec ce genre de dilemme. Nous pouvons observer quelque chose de similaire avec la crise en Ukraine: la politique occidentale, grandiloquente et agressive (co-belligérante ?), censée démontrer des actions contre la crise, et qui va de l’adoption de sanctions et de livraisons d’armes, jusqu’à leur maintient en dépit du fait qu’elles s’avèrent inefficaces voire contre- productives. Ce qui compte, c’est de donner l’impression « qu’on fait quelque chose ».
Tout ceci m’amène à penser que, comme toujours en période de crise, la capacité d’action et d’influence (pas nécessairement le pouvoir formel) va graduellement se transférer vers ceux qui sont capables d’actions concrètes. Dans le cas contraire, nous allons périr. D’autre part, il est inutile pour les gens capables d’attendre une invitation à réaliser ce dont ils sont capables, à mesure que les besoins se précisent. A l’inverse du passé, il y a la question du discours performatif avec laquelle il faut compter. Je m’explique: le contenu d’environ 90% des commentaires publics relatifs aux crises contemporaines n’est pas de nature analytique ou l’expression d’un conseil mais relève de l’insulte, d’allégations, de manifestations de colère, d’attaques personnelles, d’attaques contre l’intégrité d’autrui, de tentatives destinées à accaparer l’attention ou de tentatives à empêcher autrui à accaparer l’attention et j’en passe. La controverse a toujours été de mise, par contre la barre était plus élevée et le laps de temps entre l’impression et la distribution de pamphlets, même éphémères, était relativement long. Cette situation avait pour conséquence que le rapport signal sur bruit était raisonnablement élevé alors que de nos jours il est difficile de déceler un signal dans le brouhaha (bruit), à l’exception peut être de l’expression de sentiments vertueux. La colère et l’engagement (vertueux) sont à l’origine des « clics » et du chiffre d’affaire qui en découle. Il s’en suit une prolifération de sites et autres fils de discussion (tweet etc) qui se résument, schématiquement, à ceci:: « j’ai vu XXX qui me fâche sur la toile voici donc mon avis sur la question même si je n’y connais rien ».
Les arguments véritablement importants sont noyés dans le bruit de fond émit par le chaos et la colère. Cet état de fait est accepté par nos dirigeants politiques puisque les idées utiles, la critique constructive ainsi que les commentaires pertinents passent inaperçus dans le brouillard. Le monde n’a que faire de mes avis sur, par exemple, le système politique des États-Unis d’Amérique, le risque que le dollar cesse d’être une devise de réserve ou sur la politique interne du Venezuela, puisque je n’ai aucune connaissance particulière sur ces sujets et aucune envie de m’énerver ou d’importuner autrui avec ma propre colère. Il n’y aucune raison d’en rajouter.
Comment maintenir une société capable de fonctionner décemment en période de crise? Je suis convaincu qu’il s’agit d’une question centrale. Tout d’abord il est nécessaire de se souvenir que le passé est jalonné de périodes difficiles. Le monde occidental est en paix avec lui même depuis 1945 et nous avons oublié à quoi ressemble une crise et ce dont l’être humain est capable (en bien et en mal). A ceux qui ne le ferait pas encore je recommande vivement la lecture de biographies qui relatent la vie des gens ordinaires entre 1930 et la fin de la seconde guerre mondiale. Pas des récits de combats au front ni des témoignages sur les horreurs vécues dans les camps mais ceux qui évoquent la peur ordinaire, l’insécurité, les souffrances quotidiennes. Il y a par exemple l’auto-biographie de Aaron Appelfeld, né en Roumanie de parents germanophones, interné dans un ghetto à l’âge de sept ans, envoyé dans un camp, qui s’évade et vit dans la forêt plusieurs années pour se faire prendre par l’Armée Rouge, et parvient à gagner un camp de transit en Italie pour finalement entrer clandestinement en Israel ... Dans un autre registre, un de mes auteurs favoris qui écrivait régulièrement en français, Jorge Semprun, relate l’histoire d’un fils de diplomate espagnol loyal à la République, qui gagne la France occupée, rejoint la Résistance et le Parti Communiste, est déporté à Buchenwald, et doit sa vie à la cellule communiste clandestine du camp qui parvint à falsifier les registres afin de le faire passer pour un ouvrier qualifié ... Ce qui ressort de ces biographies, ainsi que de celles de dizaines de millions d’autres qui n’ont jamais été publiées, c’est qu’il ne s’agit pas de drames soudain mais bien d’héroïsme quotidien à souffrir de la faim, du désespoir, de la déportation, de la spoliation, de l’exploitation, de la violence, et de la destruction de l’essentiel des liens sociaux. Bien entendu, une fraction importante de la population mondiale vit encore de cette manière aujourd’hui. Qui sait, allons nous échapper à des situations équivalentes ? et si non, comment allons nous les affronter ?
Je n’ai pas de leçon à donner. Il semble en revanche clair que si nous laissons de côté la gestuelle performative (discours théâtral, bien-pensant) et les demandes irréalistes, si nous réalisons que nos institutions étatiques (formelles) seront plus que probablement dépassées par les défis qui s’annoncent, alors nous serons par la forces des choses contraints de compter sur les ressources collectives générées par des citoyens ordinaires, uniquement. En période de crise ces ressources collectives peuvent s’avérer considérables et notre énergie sera mieux investie à faire les chose par soi-même avec d’Autres que dépensée en réquisitoire à l’adresse d’institutions de moins en moins en mesure d’agir concrètement. Vous avez bien entendu la possibilité de réclamer vos « droits ». Spinoza n’était probablement pas le premier à faire remarquer que le droit ne s’applique que par le truchement d’une forme de pouvoir capable de l’imposer.
Certes, tout ceci réclame une modification radicale des mentalités. Des personnalités aujourd’hui connues pourraient simplement disparaître car n’ayant rien d’utile à offrir (contribuer), d’autres pourraient prendre de l’importance. Cependant, l’héroïsme n’est pas essentiel. Après-tout, ce qui maintient la fonctionnalité d’une société sont les activités de Monsieur et Madame les Citoyens ordinaires qui travaillent et vivent honnêtement leur existence, pas nos gouvernements. Dans ce qui suit je souhaite m’appuyer sur mon héritage Protestant et invoquer le concept de vocation, familier dans certaines professions: les religieux bien sûr, mais aussi les médecins, les enseignants, et toutes celles et ceux qui œuvrent pour le bien commun. Les calvinistes avaient ceci de particuliers qu’ils étaient convaincus que Dieu avait appelé chacun de nous à faire quelque chose et que chaque activité, commerce ou profession, aussi humble soit elle, avait un sens et plaisait au Très Haut (à Dieu) dès lors qu’elle était réalisée avec conscience. Cette position est moquée dans notre période libérale et séculaire: un mathématicien qui se lance dans l’enseignement alors qu’il pourrait devenir jongleur de titres boursiers (trader, banquier, ...) est considéré avec condescendance, pour ne pas dire avec pitié. Réflexion faite, notre société a sans aucun un besoin plus important d’enseignants des mathématiques que de « trader ». L’honnête tenancier de magasin, le commerçant compétent et fiable, l’aide de vie dévouée, le concierge consciencieux et par ailleurs les parents attentionnés, forment ensemble le ciment social. Il serait sans doute utile de réfléchir à la manière de vivre notre existence et de tenter de faire ce que nous faisons au mieux de nos compétences.
Si la situation venait à se détériorer, nous pourrions être amené à affronter d’autres défis. A l’instar d’autres individus, Jorge Semprun a rejoint la Résistance apparement sans hésitation, convaincu du fait que ce serait le bon choix. Un de mes héros personnel, Jean Moulin, le seul Préfet qui a refusé de servir Vichy, encourra de nombreux risques afin de gagner Londres, pour être renvoyé en France afin d’y organiser la Résistance et former une structure (mouvement) unique. Il accepta, en réalisant qu’il s’agirait probablement d’une sentence capitale, convaincu que ses compétences politiques et administratives seraient déterminantes. Il fut dûment capturé par la Gestapo et succomba sous la torture sans même révéler son propre nom, après avoir unifié la Résistance Française et ainsi contribué à repousser le spectre d’une guerre civile entre 1944 et 45. Pour terminer, j’ai eu le privilège de connaître quelques Sud Africains blancs qui se sont battus militairement et d’autres manières contre le régime de l’Apartheid. Ces individus ont renoncé à leur mode de vie confortable pour affronter les ténèbres, l’exil, le danger, la misère, et souvent la prison et la torture. Mais comme me l’a expliqué un ami, contraint à l’exil alors que la lutte anti-apartheid essuyait des revers, «je ne pouvais rien faire d’autre ».
Peut-être serons nous un jour « appelé » à contribuer à quelque chose personnellement, ou peut-être continuerons nous de cultiver notre propres jardins, ce qui est déjà honorable. Au vu de la série de crises qui s’annoncent et qui laissent présager un avenir intéressant, les actions théâtrales et le discours bien-pensant ne seront d’aucune utilité. Ce qui compte sont les actions réelles, aussi humbles soient elles, des citoyens ordinaires.
Voilà, c’est tout pour cette semaine.
I have spoken to the key players in the geopolitical theatre. All have agreed to hold fire over the next seven days while you attend to other matters.
Enjoy your time off !