Since I am travelling this week and don’t have much time to write, I’m pleased to publish another sparkling French translation of one of my essays by Hubert Mulkens. Please join with me in thanking him for his efforts. This is a translation of my essay “Why I'm not (that) Worried About a Nuclear War.” which appeared just about a year ago. If you are interested, the original is here.
I haven’t changed my views since the original was published, except that I detect a worrying trend recently towards glumly thinking that a nuclear war is inevitable, or even a kind of fierce joy in contemplating all that destruction, as though nuclear war were just a natural phenomenon like a hurricane or an earthquake. I hope this essay—whatever language you read it in—will help to dispel such dangerous views. All I would ask is that if you have any further comments, would you please leave them on the original and not on this translation. Thanks. I will be back with an original essay next weeK.
And now over to Hubert.
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Pourquoi je ne m'inquiète pas (tant que ça) d'une guerre nucléaire.
Replaçons-nous dans le contexte.
Étant donné que les dirigeants occidentaux ont réussi à provoquer non pas une, mais deux crises en même temps avec des États dotés d'armes nucléaires, il n'est pas surprenant que beaucoup commencent à se sentir extrêmement nerveux et même à craindre une guerre nucléaire, ne serait-ce que par "accident". Je propose une courte approche de mise en perspective de ces craintes.
L'Occident mène une guerre par procuration contre la Russie, et une partie au moins de l'Occident semble assez confiant face au risque d'un affrontement armé avec la Chine au sujet de Taïwan. Il est naturel que des craintes anciennes mais latentes d’un conflit nucléaire refassent surface. Ces craintes ont trois origines principales.
La guerre froide
La première est la culture populaire des années 1950 et 1960, dont j’ai encore l’âge de me souvenir. Le monde s'adaptait alors à la réalité de ce que l'on appelait "la bombe" (au singulier) et au fait que de plus en plus de pays semblaient la posséder. À l'époque, on craignait que les nouvelles technologies, telles que les robots et les ordinateurs, ne supplantent les humains et ne détruisent la civilisation. Les gouvernements et les militaires étaient encore en train de s'adapter aux armes nucléaires, et les militaires essayaient de trouver des moyens de les utiliser pratiquement. Entre-temps, des événements comme la crise des missiles de Cuba (où une grande partie du monde occidental se couchait chaque soir en se demandant si ce serait le dernier) ont créé une atmosphère de crise permanente.
Dans ces conditions, le cauchemar du déclenchement délibéré, ou plus probablement accidentel, d'une guerre nucléaire était tout à fait compréhensible. Les forces nucléaires de l'époque étaient terriblement peu sophistiquées par rapport aux normes modernes, et étaient principalement aériennes jusqu'à ce que les ICBM soient déployés en nombre à la fin des années 1960. Ces forces étaient vulnérables : une attaque surprise pouvait détruire les bombardiers au sol, de sorte qu'un certain nombre d'entre eux étaient toujours en vol, car il était essentiel de pouvoir réagir rapidement. Les systèmes d'alerte radar étaient rudimentaires par rapport aux équipements modernes, et le simple fait d'envoyer des ordres aux forces de bombardement à temps pour lancer une attaque de représailles était problématique. Les premiers missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) étaient propulsés par des combustibles liquides et ne pouvaient pas être maintenus en état d’alerte, de sorte qu'il était extrêmement difficile de les remplir et de les lancer en cas d'attaque surprise.
Mais l'inverse était également vrai, bien sûr. Qu'en est-il du risque d'une "libération" nucléaire accidentelle, comme on dit dans le jargon ? Supposons qu'un pilote fou décide d'utiliser un bombardier pour anéantir Moscou. Supposons que les écrans radar donnent l'impression qu'une attaque est en cours alors que ce n'est pas le cas. En outre, on partait du principe que les armes nucléaires étaient relativement bon marché et faciles à fabriquer et à livrer, et qu'à la fin des années 1960, il pourrait y avoir jusqu'à 50 ou 60 puissances nucléaires. (Voir l’inénarrable Tom Lehrer, qui a écrit un hymne vibrant sur la prolifération nucléaire). Il n'était donc pas déraisonnable de penser que, dans un monde truffé d'armes nucléaires, quelque chose tournerait bientôt très mal.
Ces craintes ont donné naissance à des étagères de livres et de films sur la guerre nucléaire accidentelle. Les plus connus sont « Dr Strangelove » (1964) de Stanley Kubrick, basé sur un roman médiocre de Peter George, ainsi que le livre et le film « Fail-Safe ». (Les deux films sont sortis la même année.) Il y a également eu une industrie florissante de livres et de films sur le "jour d'après", dont les deux plus célèbres sont « On the Beach » de Neville Shute (filmé en 1959) et « The War Game » de Peter Watkins, commandé par la BBC en 1965, mais qui n'a été diffusé à la télévision que bien plus tard. Tous ces livres et films partent du principe qu'une guerre nucléaire peut facilement éclater, soit accidentellement, soit à la suite de l'escalade d'une crise quelconque (c'était à l'époque de Cuba, après tout).
L’escalade « inévitable »
Ce qui nous amène au deuxième point : l'inévitabilité supposée de l'escalade. Toute crise internationale impliquant les superpuissances, affirme-t-on encore aujourd'hui, deviendra inévitablement nucléaire parce que les gouvernements perdront le contrôle. En réalité, ce modèle n'est pas très représentatif des crises survenues depuis la Seconde Guerre mondiale, où la désescalade a été la règle. Il semble trouver son origine dans la supposée "inévitabilité" de la forme finale de la première guerre mondiale, après l'assassinat de l'archiduc Ferdinand à Sarajevo en 1914. Les historiens ne voient plus les choses de cette manière : les événements d'août 1914 ont été bourrés d'occasions manquées, de faux départs et d'opportunités gâchées. Si un autre que le prince Conrad avait été le ministre de la guerre des Habsbourg, par exemple, la crise aurait pu prendre une toute autre tournure.
Il se trouve que la thèse de la guerre échappant à tout contrôle a un pedigree intellectuel remarquable. Clausewitz lui-même, dans le premier chapitre de « De la guerre », a introduit le concept de guerre absolue, où l'escalade pouvait conduire à un type de guerre totale entre États, qui échappe à la logique de la violence politiquement motivée et contrôlée, et se poursuit selon sa propre logique. (On pourrait dire que c'est ce qui s'est finalement produit entre 1914 et 1918.)
Il est clair que l'une des façons dont la guerre pourrait devenir Absolue serait par l'utilisation d'armes nucléaires, et l'anthropologue français René Girard a d'ailleurs soutenu dans son livre « Achever Clausewitz » que cette éventualité était en fait très probable.
Néanmoins, ces arguments tendent à occulter une chose que Clausewitz avait très bien comprise. Les guerres ont un enjeu. Les nations ne choisissent pas de faire la guerre à la légère, et le type de guerre que Clausewitz craignait de voir échapper au contrôle politique aurait pour enjeu le plus élevé que l'on puisse imaginer, à savoir la survie de la nation elle-même. Il est frappant de constater que dans tous les livres et films sur les guerres nucléaires, qu'il s'agisse de fiction ou non, je n'ai jamais vu de scénario cohérent et plausible qui pourrait raisonnablement conduire à ce que les puissances nucléaires soient prêtes à faire exploser le monde. Quelques paragraphes d'exposition rapide sont considérés comme suffisants, parce que, bien sûr, les intérêts des auteurs sont ailleurs. En conséquence, cet argument donne une importance injustifiée à des concepts tels que la "crise" et l'"escalade", comme s'ils avaient leur propre existence, au lieu d'être des étiquettes que nous apposons sur certains types de situations politiques. Les guerres n'éclatent pas par hasard, et les véritables attaques stratégiques surprises sont pratiquement inconnues. Il y a toujours une crise politique sous-jacente.
Des « exercices » de guerre nucléaire
Le troisième point est que les États nucléaires peuvent effectuer, et effectuent, des exercices au cours desquels ils font semblant de tirer des missiles nucléaires tactiques et stratégiques. Jusqu'en 1989, l'OTAN organisait tous les deux ans son WINTEX ("exercice d'hiver") et les médias avaient tout à fait raison d'affirmer que des "échanges" nucléaires y étaient simulés. (En Grande-Bretagne, l'exercice allait jusqu'au point où le Premier ministre donnait l'ordre de tirer avec des armes nucléaires). Ainsi, selon de nombreux critiques de l'époque et d'aujourd'hui, l'OTAN s'attendait à une guerre nucléaire et s'y préparait. En fait, ce n'est pas vraiment le cas. L'OTAN s'entraînait surtout à appliquer des procédures et cela n’a pas de sens de s'arrêter arbitrairement avant un certain stade d'une prétendue escalade. Il est très douteux que plus d'un acteur, qu'il s'agisse d'un gouvernement national ou d'une organisation de l'OTAN, pensait consciemment à la triste réalité de ce qu'il faisait, absorbé qu'il était par d'interminables briefings, réunions de comités et négociations.
Il convient toutefois de souligner qu'au moins les types de scénarios envisagés dans les exercices WINTEX étaient ceux dans lesquels des armes nucléaires pouvaient être employées de manière plausible. Un petit rappel historique s'impose. Après 1945, l'Union soviétique a choisi de ne pas démobiliser ses forces pour les ramener à un niveau normal en temps de paix. Pendant quarante-cinq ans, poussés par la terreur d'une autre année 1941, les dirigeants soviétiques ont maintenu une économie mobilisée pour la guerre, dans laquelle l'armée avait la priorité absolue sur tout. Cela leur a permis de conserver des forces conventionnelles très importantes et des programmes d'armement massifs. Une telle situation n'était pas envisageable à l'Ouest, qui, dès le départ, n'a jamais essayé d'égaler la taille et la capacité des forces conventionnelles soviétiques. En revanche, si une avancée russe sur le territoire de l'OTAN franchissait une ligne géographique (connue sous le nom de ligne Oméga), l'utilisation d'armes nucléaires tactiques pourrait être considérée comme l'expression d'une détermination politique et d'une volonté d'escalade. Personne ne savait ce qui se passerait ensuite dans la réalité, et les personnes impliquées ont généralement évité d'y penser trop longtemps. Mais il convient de souligner que l'enjeu était extrêmement important : il s'agissait d'empêcher l'occupation de toute l'Europe, après une bataille qui aurait réduit le continent à l'état de ruines fumantes. (Comme me l'ont dit plus d'un officier militaire à l'époque, le niveau de destruction aurait été nucléaire, même si la technologie était conventionnelle). S’il n’y a jamais eu une situation où la menace d'une escalade nucléaire pouvait être considérée comme rationnelle, c'est bien celle-là.
La doctrine soviétique
Du côté soviétique, nous connaissons la doctrine, et il y a des raisons de croire qu'elle aurait été appliquée. Ils supposaient que, face au triomphe inévitable du communisme, les États capitalistes lanceraient, à un moment donné, une nouvelle guerre d'extermination contre l'Union soviétique : comme en 1941, mais en pire. La doctrine soviétique prévoyait l'utilisation d'armes nucléaires (et biologiques et chimiques) pratiquement dès le début. Pour eux, il s'agissait d'une lutte apocalyptique pour l'avenir du monde, qu'ils ne pouvaient pas se permettre de perdre.
Nous ne saurons jamais dans quelle mesure cette vision sinistre reflétait ce qui se serait passé dans la réalité. Mais au moins pendant la guerre froide, il ne faisait aucun doute que les enjeux étaient énormes, au point que, par exemple, menacer d'utiliser des armes nucléaires pour assurer la survie même de son pays commençait à sembler raisonnable. Les utiliser bien sûr serait entièrement autre chose.
L’évolution des doctrines
En revanche, il y a eu de nombreux autres épisodes au cours desquels, hormis les prises de position lunatiques, l'utilisation d'armes nucléaires était possible, mais ne s'est jamais concrétisée.
En 1958, par exemple, avant que la Chine ne dispose de son propre arsenal nucléaire, il semble que les États-Unis aient sérieusement envisagé d'utiliser des armes nucléaires pour défendre Taïwan contre une invasion venant du continent, mais qu'ils aient abandonné l'idée lorsque les conséquences sont devenues évidentes.
Pendant la guerre du Viêt Nam, les médias ont régulièrement affirmé que des armes nucléaires pourraient être utilisées contre Hanoi, mais rien n'indique que le gouvernement américain ait sérieusement envisagé de le faire. Le cas le plus intéressant, cependant, est celui de la guerre des Malouines de 1982, qui était, après tout, une guerre entre un État doté d'armes nucléaires et un pays qui avait un programme nucléaire secret. Pourtant, à aucun moment, les Britanniques n'ont envisagé la menace, et encore moins l'utilisation, d'armes nucléaires, même si l'on imagine qu'une menace de bombarder Buenos Aires aurait choqué les cerveaux de la junte. Le fait est que tout le monde a reconnu qu'il s'agissait d'un conflit et d'une crise pour lesquels les armes nucléaires n'étaient tout simplement pas pertinentes.
Cela reflétait un changement plus large dans la façon de penser les armes nucléaires depuis l'époque du Far West des années 1950, lorsque certains militaires, au moins, envisageaient sérieusement de les utiliser. Il s'est avéré que la mise au point d'armes nucléaires était beaucoup plus coûteuse et difficile qu'on ne l'avait jamais imaginé. Peu de pays disposaient des compétences technologiques, de l'argent, de la volonté et du temps nécessaires. Cette situation a conduit tout naturellement au traité de non-prolifération de 1968, qui a divisé le monde en cinq États possédant déjà des armes nucléaires (les États-Unis, l'Union soviétique, la Chine, le Royaume-Uni et la France) et le reste des signataires qui ont renoncé à leurs programmes d'armement nucléaire.
C'est à ce moment-là que l'on peut dire que la politique des armes nucléaires, sous sa forme actuelle, a réellement commencé. Il est essentiel de comprendre cela, même s'il est correct de dire que vous ne trouverez que rarement, voire jamais, dans les déclarations officielles des gouvernements à ce sujet mais on peut les déduire. C’est la version la plus simple et elle exclut notamment la situation en Inde, au Pakistan et en Israël, qui nécessiterait à elle seule plusieurs pages.
Qui décide ?
Assez rapidement, les armes nucléaires sont devenues une solution à la recherche d'un problème à résoudre. Au moment où la bombe H a été mise au point, son utilisation effective aurait entraîné des destructions tellement énormes qu'il était difficile d'imaginer à quoi elles pourraient servir rationnellement. D'autant plus que l'on ne pouvait garantir que les avions trouveraient les cibles avec précision et que les premiers ICBM étaient si imprécis qu'ils utilisaient des ogives qui auraient tout détruit sur une vaste zone, y compris, espérait-on, la cible elle-même. D'un autre côté, les armes nucléaires ne pouvaient pas être désinventées, et il était probable qu'elles resteraient en place pendant un certain temps. Par la suite, les dirigeants politiques occidentaux ont donc affirmé leur contrôle, non seulement sur l'utilisation de ces armes, mais aussi sur le concept même de leur utilisation, dans le cadre d'un jeu politique et stratégique international complexe, qui s'est déroulé à plusieurs niveaux. Examinons ce que l'on appelle parfois le N5 (c'est-à-dire les membres permanents du Conseil de sécurité, qui sont les États dotés d'armes nucléaires en vertu du TNP).
En politique, il y a des choses qui ont une dynamique propre. Après les énormes dépenses du projet Manhattan, et dans la peur et l'incertitude du début de la guerre froide, les États-Unis n'ont jamais eu l'intention de renoncer aux armes nucléaires. Cependant, la méfiance historique à l'égard de l'armée (renforcée par sa croissance massive pendant la guerre et dans les années 1950) a eu pour conséquence non seulement que les dirigeants politiques ont commencé à mettre en place des mesures strictes de contrôle des questions nucléaires, mais aussi que les questions de doctrine et d'emploi ont été très largement déléguées à des équipes civiles et à des groupes de réflexion, dont le plus célèbre est la RAND Corporation. Les théories qui en ont résulté, basées sur la dissuasion et la destruction mutuelle assurée, étaient incroyablement complexes d'un point de vue intellectuel, mais pas nécessairement conformes à la réalité, en particulier telle qu'elle est perçue par les ennemis potentiels. Pour l'Union soviétique, en revanche, traumatisée par son expérience récente et désireuse d'éviter une répétition, les armes nucléaires constituaient un élément indispensable de sa sécurité. Mais contrairement aux États-Unis, le développement et le déploiement des armes nucléaires étaient entre les mains des militaires, qui ne pensaient pas vraiment comme la RAND Corporation.
La guerre froide montre à quel point la peur et l'ignorance peuvent pousser des gens intelligents à faire des choses stupides et dangereuses. Le problème n'était pas les armes nucléaires en tant que telles, mais le fossé de compréhension entre les deux superpuissances, accompagné de la confiance inébranlable de chaque côté qu'ils comprenaient parfaitement l'autre. Bien que l'idée que l'on est toujours à quelques minutes d'une catastrophe nucléaire soit essentiellement une invention journalistique, le niveau de peur mutuelle, et plus encore d'incompréhension, a fait qu'en fin de compte, l'humanité a réussi à arriver en 1989 en un seul morceau.
Pourtant, à l'époque, tout comme aujourd'hui, la possession d'armes nucléaires a toutes sortes de ramifications politiques qui vont au-delà de leur utilisation hypothétique dans la colère, et tendent à être plus significatives dans la politique réelle. Les puissances nucléaires jouent un jeu complexe entre elles et avec les États non nucléaires, dont les tenants ne sont pas toujours visibles pour un œil non averti et dont certaines composantes peuvent en fait être à contre-courant les unes des autres. Les cas du Royaume-Uni et de la France en sont la preuve la plus évidente.
La vision britannique
Pour le Royaume-Uni, foyer du premier projet de bombe atomique, dont les scientifiques et les ingénieurs ont développé les technologies qui ont permis la défense du pays en 1940, continuer à être une puissance nucléaire était coûteux, mais considéré comme une nécessité. Il était déjà clair que le statut de grande puissance dépendrait du fait d'être un État doté d'armes nucléaires. En outre, les relations de travail étroites avec les États-Unis sur les questions techniques qui avaient été développées pendant la guerre se sont poursuivies, pour le bénéfice du Royaume-Uni. Mais cet avantage dépendait de la capacité du Royaume-Uni à apporter sa contribution. Son empire était déjà un fardeau plutôt qu'un atout, mais le Royaume-Uni avait des cartes à jouer dans plusieurs domaines : le renseignement, la politique étrangère et les armes nucléaires. En d'autres termes, la possession d'un système indépendant a donné au Royaume-Uni plus d'influence sur les États-Unis et plus d'indépendance vis-à-vis d'eux que cela n'aurait été le cas autrement, ainsi que beaucoup plus d'influence qu'il n'en aurait eu sur les décisions de l'OTAN concernant les questions nucléaires. Les gouvernements britanniques successifs ont été prêts à investir des sommes considérables dans la capacité de construire des ogives, de cibler et de tirer des armes nucléaires de manière indépendante. Comme on l'a suggéré, cela s'explique en grande partie par des raisons politiques, mais la crainte d'être à nouveau isolé, comme en 1940, est également présente dans la vision stratégique des Britanniques.
La vision française
Pour les Français, les armes nucléaires ont toujours été une garantie d'indépendance nationale en temps de paix et de survie nationale en temps de guerre. Le programme nucléaire a été lancé dans les années 1950, alors que les souvenirs de la défaite et de l'occupation étaient encore très amers et que les Français se sentaient trahis par le manque de soutien des États-Unis en Indochine, à Suez et en Algérie, alors que leur armée était commandée en dernier ressort par un général américain. Une force nucléaire véritablement indépendante résoudrait bon nombre de ces problèmes en une seule fois. Notamment, les Français ne croient tout simplement pas qu'un président américain mettrait son propre pays en danger pour sauver Paris, et le gouvernement français pourrait donc simplement recevoir de Washington l'ordre de se rendre, comme sa propre armée l’avait intimée en 1940. Même une petite force nucléaire, totalement indépendante, donnerait aux Français une capacité de repli. Comme me l'a dit un haut fonctionnaire de la défense à Paris il y a trente ans, "nous avons des armes nucléaires aujourd'hui parce que nous n'en avions pas en 1940".
Le scepticisme quant à la manière dont les États-Unis se comporteraient en cas de crise était partagé non seulement par les Britanniques (d'où leur propre système), mais aussi par l'ensemble de l'OTAN. Mais les Français étaient les seuls à le dire ouvertement, et leurs relations avec les États-Unis sur les questions nucléaires étaient différentes de celles du Royaume-Uni, comme on pouvait s'y attendre : la recherche pragmatique de points d'intérêt communs, plutôt qu'une tentative de créer une relation stratégique étroite et à long terme.
Et la Chine…
Mais il y a plus de nuances entre les États dotés d'armes nucléaires. Par exemple, on estime généralement que les Chinois possèdent environ 350 ogives nucléaires. (Les calculs sont complexes car le nombre de lanceurs, le nombre d'ogives et le nombre d'ogives déployées sont tous susceptibles d'être très différents). Ce chiffre est probablement suffisant pour assurer une dissuasion minimale contre la Russie et les États-Unis (point sur lequel je reviendrai plus loin), mais il n'est pas comparable aux quelque 1 500 ogives déployées généralement attribuées aux Russes et aux Américains. Et ce, alors que les Chinois disposent des technologies nécessaires depuis soixante ans maintenant et qu'ils constituent la première ou la deuxième économie mondiale. L'augmentation massive du nombre d'ogives et de silos de missiles annoncée récemment est certainement due aux développements récents de la technologie russe et américaine en matière d'ogives, mais elle peut également être considérée comme une tentative d'accéder à la première division du club nucléaire, avec la Russie et les États-Unis, plutôt que d'être piégé dans la deuxième division, avec le Royaume-Uni et la France.
Pour les Chinois, comme pour les Britanniques et les Français, l'essentiel est de pouvoir menacer de détruire Moscou en cas de crise politique (plus serait mieux, mais c'est le minimum). Cette capacité (parfois connue sous le nom de "critère de Moscou") a eu tendance à guider les déploiements de missiles britanniques et français, et semble désormais s'appliquer également à la Chine. En termes simples, les Russes ont déployé, depuis les années 1960, un système de missiles antibalistiques autour de Moscou, conçu pour protéger les dirigeants russes le temps d'ordonner une frappe de représailles.
Le système actuel (A-135) dispose probablement d'une capacité défensive suffisante pour absorber une attaque de la Chine, ou du moins les Chinois doivent-ils supposer que c'est le cas. (Les chiffres sont des secrets bien gardés, et la physique et l'arithmétique en sont complexes).
Personne ne pense sérieusement que la Chine et la Russie entreront en guerre, mais le fait est que la capacité (ou non) de frapper Moscou est quelque chose qui affecte profondément les relations stratégiques entre la Russie et la Chine (et par extension entre la Russie et le Royaume-Uni et la France) au plus haut niveau.
A quoi servent-elles à la fin?
C'est en fait la raison d'être des armes nucléaires. Bien qu'il existe des scénarios dans lesquels elles pourraient théoriquement être utilisées sous le coup de la colère, ce n'est pas l'essentiel : en effet, les Français les qualifient spécifiquement d'"armes de non-utilisation". Elles resteront des cartes de grande valeur dans les relations internationales et conféreront aux États qui les détiennent certains avantages politiques. François Mitterrand, auparavant sceptique, se souvenait de sa stupéfaction, lors de son premier sommet de l'OTAN, d'être traité si différemment de tous les autres dirigeants européens, à l'exception des Britanniques, la seule autre puissance nucléaire. Dans une région du monde très différente, le régime nord-coréen survit essentiellement grâce aux armes nucléaires (bien qu'il dispose également d'un formidable arsenal d'artillerie et de missiles conventionnels). Même le groupe de réflexion néoconservateur le plus enragé de Washington ne plaide pas en faveur d'une guerre contre Pyongyang, ce qui signifie que le programme nucléaire a atteint son objectif sans tirer un seul coup de feu.
Enfin, il est extrêmement ironique de constater que l'Occident se retrouve aujourd'hui dans le même scénario que les exercices WINTEX d'antan : crise politique en Europe de l'Est, invasion russe... Mais cette fois-ci, non seulement les Russes ne sont pas intéressés à affronter les forces de l'OTAN, et vice versa, mais il s'avère qu'une fois de plus, les forces nucléaires ne sont pas pertinentes dans le contexte de cette crise. Personne ne croit que l'Occident va risquer Washington, Londres ou Paris pour Kiev (même si Kiev était menacé). D'ailleurs, personne ne croit non plus que l'Occident risquerait Dead Dog, en Arizona, Budleigh Salterton dans le Devon ou Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot pour Kiev.
Ce qui veut dire que ces choses existent à différents niveaux, et que ces niveaux ne sont pas toujours cohérents. Ainsi, on rencontre parfois des officiers militaires qui tentent de donner un sens militaire à la doctrine nucléaire et qui échouent. Mais d'un autre côté, les armes nucléaires ne peuvent pas être simplement existentielles ; si vous voulez les utiliser comme des cartes dans la politique internationale, elles doivent être efficaces. Cela signifie qu'elles doivent fonctionner, qu'elles ont besoin de systèmes de guidage efficaces, de vecteurs, de données de ciblage, d'un système d'alerte précoce et d'une capacité de survie, voire de représailles. Sinon, votre capacité ne sera pas prise au sérieux dans les calculs stratégiques complexes des grandes puissances du monde.
J'ai l'impression que les responsables des capitales occidentales, ainsi que ceux de Moscou, comprennent parfaitement ces éléments. Cela ne veut pas dire que la situation n'est pas politiquement et peut-être militairement dangereuse, et encore moins que l'utilisation d'armes nucléaires serait absolument désastreuse.
Mais nous en sommes encore loin.
"Mais cette fois-ci, non seulement les Russes ne sont pas intéressés à affronter les forces de l'OTAN, et vice versa, mais il s'avère qu'une fois de plus, les forces nucléaires ne sont pas pertinentes dans le contexte de cette crise. "
Il me semble que vous avez tort d'écrire cela: il est clair que les Russes sont en train d'affronter l'OTAN, et de bonne volonté- aussi bien les armements, les qqs centaines voir plus de conseillers, de contractuels, d'attachés, d'opérateurs des systèmes d'armes, qu'ils soient sur le champ de bataille en Ukraine, ou basés ailleurs
On pourrait affirmer que un des objectifs de la FR serait de dégrader anéantir au maximum les stocks d'armements d'OTAN, ainsi que leurs soldats, si OTAN veuille les envoyer
Ou peut-être la traduction ne rend pas le sens subtil typiquement british de votre affirmation originale
Merci beaucoup pour cette version française !
Vos textes sont souvent intellectuellement exigeants et leur lecture en anglais parfois fastidieuse pour un locuteur non-natif.
J’apprécie beaucoup de connaître votre point de vue dans ma langue, c’est beaucoup plus simple d’accès.
Bravo pour la qualité de votre Substack.